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L'image
d' Yvonne-Joséphine-Marguerite reste à jamais gravée
dans notre inconscient. Au-delà de la représentation
picturale, je me suis essayé à rapprocher deux mondes
qui ne demandaient qu'à converser et à partager bien
des ressemblances.
A votre gauche, petite fille réfléchie et sujet de
sa très gracieuse majesté, la reine Victoria.
Née en 1852, elle s'appelle Alice Liddell, elle deviendra
sous la plume d'un certain Lewis Carroll : "Alice au pays des
merveilles". A votre droite, petite fille espiègle républicaine
et française, fille de Firmin Bouisset, elle deviendra au
milieu du 19ème siècle le symbole vivant de la marque
"Ménier".
Si le rapprochement est osé et sans fondement historique,
il me plaît de donner à l'une et à l'autre un
lien de parenté purement spirituel.
Il me plaît de donner à Yvonne ce supplément
d'âme qui lui manque cruellement.
Si l'affiche est belle, elle reste dans son exécution très
classique.
La faute en incombe à Firmin et à son apprentissage
des plus académiques dans l'atelier de Cabanel en 1879.Il
faudra alors chercher sa transcendance dans l'attitude du sujet
et dans sa féminité naissante et débordante.
Cette transcendance, c'est Lewis Carroll qui va nous la fournir
avec sa petite Alice et son monde "surréaliste".
La publication "d'Alice au pays des merveilles" a suscité
bon nombre de commentaires... Fallait-il ne voir qu'un conte pour
enfant ? La suite nous prouva que non.
Écrit d'abord pour les enfants, l'adulte a pris la mesure
de son aspect psychologique, surréaliste.
Il est également un plaidoyer contre la société
victorienne et capitaliste.
On se rapproche plus de James Joyce et de son" Ulysse",
que d'un conte moralisateur.
La société victorienne est tournée vers le
passé sans imagination, sans créativité.
La société britannique dépeinte par Lewis Carroll
est pervertissante par son capitalisme et la consommation dénature
les sentiments. Thème également abordé : l'envie
de grandir et de partager le monde des adultes, mais celui-ci ne
se laisse pas manipuler facilement, les règles qui régissent
le monde des adultes est bien loin des évidences d'Alice.
"Il faut tourner le dos à son objectif pour avoir une
chance de l'atteindre".
Voilà pourquoi notre petite fille Ménier fait de la
sorte. Quelques années plus tard, les Ménier prennent
la mesure du caractère avant-gardiste des sciences humaines
outre-Atlantique, ils vont adapter à la française
la virulence du message Carollien ; le contre-pied est parfait,
du désaveu des vieilles théories Victoriennes, ils
redéfinissent les lois du marché. Les Ménier
n'ont que faire des concepts moribonds de la fin du siècle
; ils imposent à Firmin Bouisset la symbolique souhaitée
dans leur nouvelle campagne publicitaire : le choix d'une fillette
s'impose donc. Le charme d'Yvonne n'a rien à envier à
celui d'Alice. Lewis Carroll n'est-il pas tombé sous le charme
juvénile de sa protégée au point de la prendre
comme modèle pour assouvir ses talents de photographe ?
Le caractère érotique de notre "lolita"
joue à plein, en ce début de 20ème siècle
; la domination masculine s'affiche sous des traits féminins.
Notre petite Yvonne pleine d'esprit insufflé par les Menier
est parée pour de longues années : rebelle, le dos
tourné, dévergondée à écrire
sur les murs, soif de grandir avec son pied décollé
du sol, poussant à la consommation en écrivant à
l'infini "chocolat Ménier", il ne restait plus
qu'à lui faire traverser le miroir.
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