ART BRUT ET SINGULIER



 

Je recommence une nouvelle collection ou, du moins, je fais place et honneur aux exclus, aux sans voix, aux marginaux, aux fracassés de la vie, aux autodidactes qui pourtant possèdent un talent de créateurs sans pour autant satisfaire aux définitions d’une élite culturelle ayant pour but de dénigrer et rejeter tout ce qui pourrait dévier de l’orthodoxie bourgeoise. Orientation nouvelle, je me libère de ce qui m'a bien occupé pendant des années, une vraie dévotion, un mysticisme qui m'apportait excitation et satisfaction morales. Je pensais également faire partager mon engouement et mes recherches à un public averti et concerné par la chose, mais je m'aperçus bien vite d'un désintérêt collectif. Alors, sans doute par dépit et déception, la charge affective et symbolique de ma collection s'est envolée pour ne voir maintenant que des objets inertes. Il me restera, quand même, d’avoir touché par l’intermédiaire des documents historiques rares et précieux à mes yeux, une part d’éternité.

De visites en découvertes, les lectures studieuses des ouvrages de  Jean Dubuffet, Lucienne Peiry, Madeleine Lommel, Marianne Jakobi, Julien Dieudonné m’ont éclairé, enthousiasmé et convaincu que l’Art Brut était la manifestation créative de tout un chacun, aux univers fantastiques, énigmatiques, angéliques, spontanés sincères, bien supérieurs aux artistes issus des diverses académies étatiques seules capables de produire des artistes plus sensibles à leur valeur marchande qu’à leur art. L’Art Brut est la manifestation d’une urgence ontologique susceptible d’apporter équilibre et apaisement à celui ou celle dont le quotidien est devenu un enfer.

La genèse de l’Art Brut découle d’un spiritisme nécessaire pour conserver un lien avec l’au-delà, pour cause de l’affaiblissement du religieux et de l’art populaire détruit par l’industrialisation. Ces dernières années, les institutions muséales se penchent sérieusement sur l’engouement de collectionneurs érudits, promoteurs de grands talents, capables à eux seuls de fabriquer des oeuvres mais, davantage encore, capables de redéfinir l’Art et de l’étendre au-delà d’une classe bourgeoise, usurpatrice et  ségrégationniste.

Les conservateurs de musées veulent participer à cette révolution cognitive, la France ne voulait pas, une nouvelle fois, voir une collection lui échapper et partir à l’étranger comme le fit celle de Jean Dubuffet en optant pour Lausanne en Suisse. Les conservateurs sont également convaincus que leurs équipes devront faire des efforts de compréhension et d'apprentissage quant aux choix des futurs d'acquisitions des marginaux et autres déclassés sombrant pour certains dans une douce folie. Mais l'Art Brut a fait des émules au sein de nos artistes contemporains, il se décline à présent sous des appellations différentes : "Art Singulier", ou bien "Outsider Art" Outre-Manche et Outre-Atlantique. Le texte ci-dessous de Sabine Weiss en précise les contours.

 

SABINE WEISS (Photographe)

Riche source d’inspiration plastique après-guerre pour les artistes «professionnels», où l’heure était alors à la transgression et à la recherche de nouvelles formes, les œuvres sans paradigme imposées des artistes «bruts» offrent aujourd’hui un nécessaire regard singulier sur la société contemporaine. En effet, si depuis longtemps les artistes contemporains n’ont plus à se libérer d’un savoir-faire, leur préoccupation actuelle pour la mise en scène des idées impose de renouveler un savoir-penser qui fonde désormais toute création. Individus avant d’être artistes, ces créateurs «hors normes» immergés dans une société de mass média ne sont plus aujourd’hui indemnes de toute culture, selon le vœux de Dubuffet. Spectateurs en marge d’une société qui s’impose à eux, ils en observent ou subissent les troubles et les aspérités avec le regard neuf, parce que naïf, d’un explorateur persan. Leurs œuvres traduisent alors, et sans le prisme déformant d’une pensée normalisée, une réalité dont ils se font l’écho par l’expression «brute» d’un ressenti ou d’un vécu, non conceptualisée mais propice à un renouveau du regard porté sur notre civilisation.

JEAN DUBUFFET

Dubuffet n'agit pas en découvreur, conscient d'avoir été depuis longtemps précédé par les aliénistes, mais en fédérateur. Ce geste de synthèse est décisif, il donne un sens à des démarches isolées en les ressemblant sous une catégorie qui les constitue d'emblée en rivales de l'art culturel dominant et redistribue les cartes de la hiérarchisation des musées et du marché. Les créateurs et leurs productions sont réunis selon les mêmes principes : absence de formation artistique, inadaptation sociale, indifférence à toute reconnaissance et à toute promotion commerciale, création solitaire et clandestine, moyen technique humble, invention sans frein, haute ivresse, liberté totale et pureté de l'expression.

Chacun des créateurs garde en lui une fracture existentielle mais, d'un choc, d'un conflit, il ne s'en remettent jamais et deviennent des exilés intérieurs perpétuels ; certains sont internés souvent à vie dans des asiles ou des institutions médicales, tandis que d'autres tentent de mener une existence sociale qui s'avère difficile, solitaire, inadaptée, exclue, la seule issue est d’entrevoir un monde imaginaire ou nul ne pourra les atteindre. Il semble que l'art culturel est une invention d'hommes à destination des hommes et que les femmes y sont peu aptes. Mais s'agissant d'Art Brut, force est de constater le contraire : les femmes y sont bien plus adroites bien plus à l'aise que les hommes probablement parce que moins conditionnées par les normes de l'art culturel.

L'art est toujours là où on ne l'attend pas, là où personne ne pense à lui ni prononce son nom. L'Art déteste être reconnu et salué par son nom, il se sauve aussitôt. L'Art est un personnage passionnément épris d'incognito. Sitôt qu'on le décèle, que quelqu'un le montre du doigt, alors il se sauve en laissant sa place à un figurant lauré qui porte sur son dos une grande pancarte où est marqué «ART», que tout le monde asperge aussitôt de champagne et que les conférenciers promènent de ville en ville avec un anneau dans le nez. C'est le faux Monsieur Art celui-là ! C'est celui que le public connaît, vu que c'est lui qui a le laurier et la pancarte. Le vrai Monsieur ART, pas de danger qu'il aille se flanquer des pancartes ! Alors, personne ne le reconnaît. Il se promène partout, tout le monde l'a rencontré sur son chemin et le bouscule 20 fois par jour à tous les tournants de rues, mais pas un qui ait l'idée que ça pourrait être lui Monsieur ART, lui-même dont on dit tant de bien. Parce qu'il n'en a pas l'air du tout. Vous comprenez ? C'est le faux Monsieur ART qui a le plus l'air d'être le vrai et c'est le vrai qui n'en a pas l'air ! Cela fait que l'on se trompe ! Beaucoup se trompent.

(La légende des oeuvres ci-dessous sont issues du Musée de la Création Franche de la ville de Bègles sauf mentions contraires)

PIERRE ALBASSER


L’univers de Pierre Albasser fourmille de personnages de profil ou de face, souvent dotés d’oreilles surdimensionnées. A cela se rajoute un bestiaire à la fois tendre et comique, composé d’oiseaux, de poissons, de chiens et de petits papillons.

ZÉBÉDÉE ARMSTRONG


Z.B. Armstrong, was an outsider artist known for his doomsday calendars.
Calendrier apocalyptique recto verso. La première colonne représente les jours de la semaine, la deuxième colonne les mois de l'année, la troisième colonne dit : "En dieu nous avons confiance", suivent l'année et l'acronyme "BTMS" signifiant : "Bible Tells Me So".
Zébédée Armstrong est né dans le comté de McDuffie, en Géorgie, près de Thomson, en Géorgie. Il a fréquenté l'école jusqu'en huitième année, puis il l'a quitté et a commencé à travailler dans les champs de coton locaux. Il épousa Ulamay Demmons en 1929 et eut deux filles. Pendant une grande partie de sa vie, il a travaillé à la cueillette du coton dans la ferme locale Mack McCormick. Il a complété ces revenus en construisant des meubles pour les membres de sa communauté. L'une des choses dans lesquelles Armstrong était le plus habile à construire était les coffres-forts en bois et en béton, qui étaient particulièrement populaires dans les communautés rurales en raison de la méfiance à l'égard des banques au lendemain de la Grande Dépression. Ces coffres-forts incorporaient souvent une grande variété de types de serrures, de poignées et de roues. Après la mort de sa femme en 1969, il commença à travailler à la Thomson Box Factory, où il resta jusqu'en 1982. La religion occupa une place importante dans la vie d'Armstrong. Il était membre de la Solomon Hodges Burial Society, une organisation qui aidait les pauvres à payer les enterrements appropriés des membres de leur famille décédés. En 1972, un ange serait apparu au fermier Zébédée Armstrong, l'avertissant que « vous devez arrêter de perdre votre temps car la fin du monde approche ». Armstrong a pris le message de l'ange comme impulsion pour commencer à créer une collection de « calendriers », tous motivés par l'impulsion de prédire l'Armageddon à venir.
(Texte: Galerie Webb, Waxahachie, Texas
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FRANCOIS OZENDA


François Ozenda est né en 1923 à Marseille. Il y passe son enfance, élevé dans une famille modeste. Il quitte l’école à l’âge de quatorze ans, à la suite d’un accident de moto. Il exerce alors divers métiers, vivant de troc et du soutien de ses amis.Il prétend avoir appris la peinture en trois mois à l’École des Beaux-Arts de Marseille. Peintre et poète mystique, ses œuvres sont toujours empreintes d’ésotérisme et de spiritualité. De 1950 à 1976, il expose régulièrement ses œuvres. En 1973, François Ozenda s’installe à Salernes et meurt en 1976.

RAYMOND REYNAUD


Raymond Reynaud est né le 8 octobre 1920 à Salon-de-Provence, dans une famille de commerçants. À l’âge de quatorze ans, il devient apprenti peintre en bâtiment. De 1935 à 1939, il suit les cours du soir à l’Ecole des beaux-arts et obtient le premier prix de dessin anatomique. À l’âge de vingt-huit ans, il s’installe comme artisan-peintre à Sénas. En 1952, il fonde « Arts plastiques des Alpilles », un groupe de recherche qu’il anime jusqu’en 1958, date à laquelle il arrête de peindre. Son état de santé se détériorant, il renonce à son activité d’artisan-peintre en 1963.

THIERRY GREINER


Thierry GREINER, dit Saint Molotov, est né en 1973 à Corbeil-Essonne. Artiste autodidacte, il déménage pour l'Auvergne en 2003. Né dans la banlieue parisienne entre campagne et cité, entre ferraille et graffiti.Des dessins toujours dans la tête ou sur les feuilles. En 1989 dessine dans des fanzines alternatifs et ne s'arrête plus vraiment tout est bon pour éteindre ses incendies de l'imaginaire. ces ferrailles rencontrées lors de chantier en maçonnerie seront le chiffon imbibé d'essence qui finiront de mettre le feu à sa vie . Depuis il vit dans ses granges entouré de ses ferrailles, cartons, toiles, pas loin du jardin et bien sur maçonne ou plâtre dans les ruines à côtés. (Texte: Arpulsion)

DANIELLE JACQUI


Danielle Jacqui (1934) est originaire de Nice, en France. Sa mère, militante féministe puis résistante, et son père artisan joaillier, se séparent alors qu’elle est encore enfant. Après le pensionnat, elle est placée dans une famille puis déscolarisée à la fin de la Seconde guerre mondiale. Elle se marie à l’âge de dix-huit ans ; le couple a quatre enfants et gère ensemble une maçonnerie. À cette période déjà, Danielle Jacqui s’intéresse aux livres d’art, dessine et réalise de petites installations. Mais c’est à partir de 1970, suite à son divorce et en devenant brocanteuse, qu’elle se lance réellement dans la création autodidacte. Danielle Jacqui se remarie avec un brocanteur passionné. En plus d’objets de seconde main chinés et restaurés, elle présente dans sa boutique ses toiles, assemblages et broderies insolites.
(Texte: Collection de l'Art Brut, Lausanne)

GERARD SENDREY


Gérard Sendrey est né à Bordeaux le 12 mars 1928, il montre dès son plus jeune âge un goût et des facilités pour l'écriture, des qualités littéraires qui ne passent pas inaperçues dans son entourage. Mais l'école, il la préfère sur les chemins de traverse et il est lancé dans la vie active à l'âge de 13 ans. Il a 17 ans lorsque son père décède à ses côtés, tous deux spectateurs d'une course hippique. Il ne se remettra de cet événement que très tardivement et sera hanté toute sa vie par la culpabilité de n'avoir rien pu faire pour le sauver. C'est à presque 40 ans qu'il se met à peindre frénétiquement. Dix ans de création dont il ne reste rien, tout a été détruit. Gérard Sendrey n'éprouva longtemps point le besoin de montrer ce qu'il faisait, un peu n'importe quoi sans doute, une manière d'expectorer le trop-plein d'un quotidien affleurant parfois avec prégnance. Toutes les techniques passèrent ainsi à la moulinette d'un imaginaire débordant, la peinture à l'huile, comme la gouache, le pastel à l'huile, comme le pastel sec. Tous les supports aussi, plastique et papier, bois et métal. Et cela de jour et de nuit, sans la moindre étude préalable,n'ayant connu pour seul enseignement que celui, sporadique, que l'école accorde de manière fugitive. :"Quand je prenais en main un pinceau, un crayon ou un stylo, je ne savais pas du tout ce qui allait se passer et c'est cela qui m'intéressait".Et puis il arrive un moment où le regard de l'autre est perçu comme nécessaire. Non celui de ses proches, volontiers vécu comme bienveillant, voire même indulgent. Il lui faut rencontrer quelqu'un qui ne peut pas taxer de complaisance à son égard, quelqu'un auquel il puisse se référer.
Ayant rencontré par le biais d'un ami, Madame Bounin, élève de Bonnard et directrice de "la galerie du fleuve à Bordeaux", Gérard Sendrey ne peut cependant se résoudre à ne lui présenter qu'une toile, ce qu'elle souhaiterait. Incapable de faire lui-même un choix, il réussit à convaincre la galeriste de venir chez lui. Des peintures, il en met partout, sur les murs, sur le sol, au seuil de la porte raconte-t-il, devant le spectacle offert, elle s'écrit : "Vous êtes fous ?", ce à quoi il répond : "Je croyais que vous le saviez". Devant le visage décomposé de Gérard Sendrey, après qu'elle eut encore ajouté : "Que voulez-vous que je fasse de ça ?", devant le désarroi ouvertement affiché, elle avance : " Vous ne faites rien d'autre, vous ne dessinez pas ?". Il avoue alors modestement faire de petits croquis pendant les réunions auxquelles ses fonctions le contraignaient à assister. Devant sa sollicitation il se résout quand même à les lui porter. Ses dessins, à sa grande surprise, elle les accueille avec un enthousiasme non dissimulé. Ses proches, qui ne les connaissaient pas, réagissent de même. Gérard Sendrey ne comprend pas ce qui lui arrive, si ce n'est peut-être que pour lui la peinture est une voie sans issue, et ce d'autant que, prenant un dessin, Madame Bounain lui dit : " Faites-m 'en vingt comme ça, et je vous fais une exposition !".

A 51 ans il expose pour la première fois à Bordeaux. Il dessine comme un forcené et se passionne pour la création, la sienne est celle des autres. Rien ne peut l'arrêter, la création est sa raison de vivre. De nombreuses galeries l'exposent dans le monde entier. Il dessine, peint, écrit livre et poème, intarissable, obsessionnel ; il refuse le nom d'artiste pour préférer celui de chercheur. Lorsque en 1988, à l'âge de 60 ans, la retraite s'envisage, après trente ans de service à la mairie de Bègles où il est alors secrétaire général, il fonde la galerie Imago pour promouvoir des formes d'art non conventionnelles. En 1989 le maire Noël Mamère contribue à la naissance d'un "fond de création artistique brut et inventive" qui fusionne avec la galerie Imago. En 1996 le Site de la Création franche devient musée municipal : le Musée de la Création franche. 426 artistes d'art brut et apparentés issus de 43 pays y sont représentés. En janvier 1923, sous la direction d'Hélène Ferbos le musée possède 19200 oeuvres et acquiert le titre de "Musée de France".
(Textes : Catherine Slowik, Bernard Chevassu)

JEAN-MICHEL MESSAGER


Jean-Michel Messager est né le 25 février 1960 à Toul, en Meurthe-et-Moselle, dans une fratrie qui compte deux autres frères et une sœur. Un jour, Jean-Michel se met à régresser et le diagnostic médical révèle qu’il est autiste. A l’âge de quatorze ans, le jour de la rentrée scolaire dans son centre habituel, il se hisse sur la plate-forme d’un transformateur électrique. Ne connaissant pas le danger, il saisit l’arrivée des fils dans sa main gauche et reçoit une décharge de dix mille volts. Les médecins le croient condamné. Il perdra son bras mais aura la vie sauve.

PAUL HUMPHREY


Après avoir achevé l’école secondaire et effectué son service militaire dans la marine, Paul Humphrey travaille pendant plusieurs années dans la construction routière. En 1971, il déménage à Brattleboro où il devient chauffeur de taxi et peintre en bâtiment. À l’âge de cinquante-sept ans, il est victime d’une grave crise cardiaque qui le force à cesser ses activités. Dans une situation financière et sociale précaire, il survit grâce à une pension modeste et par la collecte de bouteilles et de boîtes de conserve. C’est à cette époque qu’il commence à dessiner des femmes endormies.
(Texte : abcd Bruno Decharme)

ANNE-MARIE POITOUT


Anne-Marie Poitout est née le 21 Février 1949 à Auxerre. Sa mère fait des ménages, son père est ouvrier agricole. C’est un homme brutal qui porte, à cause de son physique, le surnom de « gorille ». Anne-Marie Poitout apprend seule à lire dans le journal « L’Yonne Républicaine » dès l’âge de quatre ans puis écrit des poèmes et dessine à partir de six ans. C’est à cette époque que sa mère jette un cahier de poèmes dans un poêle. Anne-Marie se brûle gravement en voulant le récupérer. Elle portera toujours, aux avant-bras, les séquelles de ces brûlures. Elle vit dans un grenier jusqu’à l’âge de dix ans et est maltraitée par ses parents jusqu’à dix-huit ans. Elle réussit à échapper à cet enfer en épousant le premier venu qui lui fait trois enfants. Après quelques années de mariage, son mari se met également à la frapper. Séparée, elle ne revoit pratiquement plus ses enfants. En 1980, elle retrouve un semblant d’équilibre grâce à une psychothérapie et plusieurs séjours en hôpital psychiatrique.

YVONNE ROBERT


Née 1922 à Saint-Avaugourd-des-Landes, dans une famille d’agriculteurs vendéens qui compte sept enfants, Yvonne Robert vit une enfance difficile : entre ivresse du père et tentative de suicide de la mère. Elle obtient son certificat d’études à douze ans et devient bonne chez des instituteurs puis chez un fermier qui abusera d’elle. Elle se marie en 1944 et subit l’ivrognerie de sa belle-mère qui ne l’apprécie guère. En 1945, après la naissance de son premier enfant, elle s’installe avec son mari à Grues. A la suite d’une diphtérie mal soignée, elle sombre dans un état dépressif latent. En 1974, au rayon papeterie des Nouvelles-Galeries de Luçon, elle achète du papier et des aquarelles. Encouragée par son frère, elle achète, quelques mois plus tard, de la peinture à l’huile et des toiles. C’est le début d’une longue série de tableaux qu’elle peint dans une pièce exiguë et mal éclairée, tenant la toile sur ses genoux.

ADAM NIDZGORSKI


Né en 1933 à Cormeilles-en-Parisis, de parents polonais, Adam Nidzgorki obtient, après son baccalauréat, une bourse pour partir étudier l’éducation physique à Varsovie. Il y restera finalement six ans, enchaînant sa formation avec un emploi de traducteur. De retour en France, son diplôme n’étant pas reconnu, il part vivre en Tunisie où il est employé à l’École Normale Supérieure d’Éducation Physique. Lorsqu’il rentre finalement en France, il exerce le métier de professeur d’éducation physique dans divers établissements scolaires parisiens. C’est vers 1963 qu’il commence à dessiner à l’encre de Chine et à la gouache, de manière totalement autodidacte. Il participe à plusieurs expositions collectives au sein du groupe « Concordance ». Dans les années 1980, après avoir vu des œuvres de Jean Dubuffet à Beaubourg, il entre en contact avec lui et reçoit de vifs encouragements à poursuivre cette création d’une étonnante spontanéité. Il a également réalisé des panneaux textiles, en collaboration avec son épouse, et des gravures.

JEAN-PAUL HENRY


Jean-Paul Henry est né le 3 avril 1945 à Melun. Il est l’aîné d’une fratrie de cinq enfants, son père est professeur de philosophie et poète ; sa mère se consacre à l’éducation des enfants. Dès le plus jeune âge, il se réfugie dans un monde imaginaire. En 1949, la famille déménage pour Auxerre où il suit une scolarité normale. Puis elle s’installe à Monéteau en 1953 où il habitera jusqu’à sa mort. Entré au collège Jacques Amyot cette même année, il le quitte en quatrième lorsqu’on le découvre schizophrène. Il est alors suivi par plusieurs équipes sans qu’une réelle amélioration puisse être constatée. De 1964 à 1980, il travaille comme manœuvre à temps partiel chez un horticulteur. C’est en 1972 qu’il s’ouvre au dessin lors d’une psychothérapie au Centre hospitalier spécialisé d’Auxerre. Pendant trente-cinq ans, il va produire des dizaines de milliers de dessins sans discontinuer. Installé sur une table, au milieu d’un amoncellement de crayons et de pastels, Jean- Paul Henry remplit des feuilles de Canson. Il prend ses modèles dans des livres d’art et organise sa propre mise en scène : personnages statiques souvent mutilés dans un espace morcelé. Ses parents l’encouragent à persévérer et il commence à exposer dans l’Yonne, puis à Paris, Lausanne, Bruxelles, Chicago. Sa mère meurt en 1990 et il reste en compagnie de son père. Au printemps 2003, il est placé dans un foyer et se rend chaque après-midi chez son père jusqu’à la mort de celui-ci, le 29 novembre 2005.

CHARLES BOUSSION


Charles Boussion est né en 1925 à Biarritz. A l’âge de cinq ans, les parents de Charles Boussion le confient à son oncle et à sa tante qui habitent Montpellier et Palavas-les-flots. Il restera marqué par cette séparation. Après le lycée, il entreprend des études de commerce. Il se marie à Biarritz en 1946 et devient représentant en parfumerie, ce qui l’amènera à sillonner la France continentale et la Corse. À la suite d’un accident du travail, il doit cesser son activité alors qu’il n’a que cinquante ans. Pour l’aider à faire face à cette épreuve et à ne pas rester inactif, sa femme lui offre des crayons de couleur. Il se met à dessiner de manière spontanée et écrit de la poésie. Cet autodidacte travaillait surtout la nuit. Il créait des ornements, des entrelacs, des décors foisonnants qui encadrent des personnages hiératiques portraits de tsars et tsarines, de Christ byzantin, de belles orientales, etc. Son langage pictural s’inspire des miniatures orientales, des icônes russes, de l’orfèvrerie mauresque et des enluminures irlandaises.

BERNARD LEIJS


Bernard Leijs est né le 19 avril 1934 à Paris. Il peint, dès l’âge de quatorze ans, une centaine de toiles dont une « Danse macabre » qu’il considère comme le vivier de son œuvre à venir. Dans ses œuvres, on rencontre des personnages aux membres longs et élastiques exécutant une danse, dans des postures parfois grotesques, à la manière des pantins désarticulés.

GUSTAVE CAHOREAU


Fils d’ouvrier agricole et aîné d’une famille de sept enfants, Gustave Cahoreau est né le 16 août 1929 à Néau. Une méningite, à l’âge de sept ans, et la Seconde Guerre Mondiale vont profondément marquer son enfance. A treize ans, il est placé comme domestique dans des fermes. En 1963, son père meurt accidentellement. Peu de temps après, il commença à ramasser des pierres et des racines aux formes étranges. Après que l’instituteur du village lui ait offert un livre sur l’Art Nègre, il amorça une série de sculptures sur du bois de récupération (chevrons, rayons de roues de charrette, etc.). Il va produire une quantité importante de totems et de profils de femmes africaines. Il en donnera un grand nombre au cafetier ou à l’épicier du village, en échange d’un verre de cidre ou d’un paquet de gâteaux… Il réalisera également des dessins au pastel et au feutre, dessinant inlassablement le même personnage en costume-cravate, coiffé d’un chapeau haut-de-forme aux mains tendues, paumes ouvertes ; des femmes africaines aux lèvres sensuelles et aux coiffures crénelées. Parfois, il représentait des chats. Tous les dessins comportent des inscriptions dont certaines évoquent les signes calligraphiques asiatiques et sa signature, en lettres minuscules

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PATRICK CHAPELIÈRE


Patrick Chapelière est né le 3 juin 1953 à Champfrémont, en Mayenne, dans une famille modeste et nombreuse de cinq frères, deux sœurs, d’un père menuisier et d’une mère au foyer. Scolarisé jusqu’à l’âge de quatorze ans, il entre en apprentissage dans une pâtisserie puis trouve un premier emploi dans la brigade d’un foyer d’infirmières, à Alençon. Il travaillera ensuite chez un artisan pâtissier puis à la cuisine centrale d’une grande entreprise alençonnaise avant de connaître une période de chômage, à l’approche de la cinquantaine. Celle-ci se prolongera plusieurs années. C’est pendant cette période d’inactivité forcée qu’il commence à dessiner, pour s’occuper. Lorsqu’il retrouve un emploi dans une usine de cartonnage, il continue à dessiner quotidiennement, au retour du travail, jusqu’à une heure avancée de la soirée, et le week-end, qu’il passe dans sa maison de campagne. Il utilise une technique très personnelle : sur des chutes de carton qui lui sont données dans son entreprise, il trace, à l’aide d’une pointe Bic usagée, une multitude de sillons qui structurent et révèlent une image avec la mise en couleurs au crayon-cire. Apparaissent alors des fleurs, des animaux, des petits personnages ou encore des architectures fantastiques. Les figures animales de Patrick Chapelière empruntent autant à l’imaginaire qu’à ses nombreux souvenirs de chasseur. Il commence toujours par camper de ses figures, les yeux ou le nez, avant de remplir la surface, moyens formats le plus souvent, dont rien ne reste vierge, quel que soit le sujet. Il dessine à son rythme, pour ne pas « cochonner », travail minutieux et fatiguant, exigeant une attention soutenue.

CLAUDIA SATTLER


C'est matin enfin ! Tous mes animaux préhistoriques se chantent au soleil : Bonjour !
Claudia Sattler est née en 1940 à Akron, dans l’Ohio, aux Etats-Unis. Elle occupe un emploi de secrétaire dans sa ville natale puis à Sarasota en Floride.En 1985, divorcée et mère de cinq enfants, elle commence à dessiner sur les feuilles perforées des classeurs de bureaux, afin de « se libérer de fantasmes qui la harcèlent ». Elle travaille au stylo bille noir en couvrant toute la feuille et en formant des entrelacs de lignes d'où émergent des personnages en couple et souvent représentés tête-bêche. Le sens de la lecture est ainsi dédoublé. L'artiste œuvre souvent par séries de douze en s'inspirant de thèmes littéraires qu'elle emprunte à ses poètes favoris, parmi lesquels Rimbaud, Baudelaire ainsi que certains poètes anglais." Plonger dans son monde intérieur, dans cette zone sans limite et obscure où naissent pensées, rêves, croyances; mythes et pulsions."

Toute cette composition fantasmatique très dense, puissamment équilibrée dans des déséquilibres vertigineux, est réalisée au moyen de milliers de traits enchevêtrés, tantôt accusés, tantôt plus flous, générant des oeuvres plus ou moins sombres, donnant au questionnement du spectateur une réponse plausible : les rêves de Claudia Sattler ne sont sans doute pas tous des cauchemars, certains “passages” traduiraient même de possibles attouchements agréables ; mais ils l’emmènent toujours bien loin d’une paisible réalité ! (Jeanine Rivais)

CLAUDINE GOUX


Claudine Goux est née en 1945 à Niort, de parents enseignants. Elle entreprend des études de médecine et obtient le titre de docteur. Mais, après un stage d’un an en milieu hospitalier, elle abandonne sa carrière. Elle se marie en 1971 avec un psychiatre et devient mère de famille. Ensemble, ils vivront successivement à Angoulême, Poitiers, Auch, Gradignan, puis Royan. Elle commence à peindre en 1971. Elle s’intéresse tout d’abord à l’art Nègre et à Gauguin puis traverse une période cubiste. Mais très vite, elle trouve son propre langage pictural, proche de celui de la miniature et composé d’êtres imaginaires. A cette époque, elle découvre les écrits de Jean Dubuffet avec lequel elle entretient un échange épistolaire. Aux alentours de 1978, elle rencontre Aristide Caillaud qui lui achète des œuvres, l’encourageant ainsi à poursuivre son cheminement solitaire. Elle pratique la gravure, peint à la gouache et à l’acrylique sur papier ou sur toile, mais aussi sur des supports hétéroclites tels que boîtes, os ou bois flottés. Elle assemble des volumes pour créer des bateaux et des totems, modèle des personnages, dessine à l’encre de Chine, réalise des triptyques dont le cadre est un prolongement pyrogravé de l’œuvre. Elle a en outre illustré un nombre considérable d’ouvrages de poésie. Son travail, fait de ciselures et de fines hachures renvoie à la mythologie et à l’histoire des religions qui la passionnent.

MARIE HENOCQ


Née en 1979, Marie Hénocq grandit en banlieue parisienne. Dès l’âge de quatre ans, elle se dit fascinée par les bulles, les effets de buée, les auréoles d’essence. Elle commence à réaliser des collages, peint et dessine des arbres et des sous-bois. Elle a dix-neuf ans lorsqu’elle rencontre Jacques Karamanoukian, Stani Nitkowski puis, en 2001, Gérard Sendrey. Ces amitiés vont marquer profondément ses propres recherches. Avec Stani Nitkowski, à Angers, elle fait des enregistrements audio et dessine en sa compagnie. Puis elle découvre la danse Bûto dans laquelle elle trouve un écho à ce qu’elle cherche à retranscrire dans ses dessins : torsion des corps, éclat du regard, gestuelle, état de transe. Marie Hénocq réside en région parisienne. Elle exerce le métier de professeur des écoles.

CATHERINE DUPIRE


Catherine Dupire est née le 28 août 1949 à Lille. Son enfance se déroule entre la Belgique – où elle fut pensionnaire à Mouscron, au Pensionnat de l’enfant Jésus dès l’âge de quatre ans et demi – le Nord et Paris. L’absence répétée d’une mère trop absorbée par sa vie artistique l’amène très tôt à se passionner pour les arts plastiques et la littérature. Elle s’occupe de relations publiques à Paris puis écrit dans un journal local de l’Isère et devient pendant très peu de temps l’assistante d’un chirurgien osseux à Dijon. Elle séjourne dans des colonies d’artistes en ex-Yougoslavie puis sur l’île de Zakynthos, en Grèce et aussi en Afrique. C’est à partir de 1985 qu’elle se consacre à plein temps aux arts plastiques et devient chroniqueuse sur une radio locale à Dijon, ce qui lui a permis de défendre le travail de jeunes artistes dont, à l’époque, Yan Pei Ming.

MOHAMED BABAHOUM

Mohamed Babahoum est probablement né en 1942 à une trentaine de kilomètres d’Essaouira, un port de l’océan Atlantique, dans un village entouré d’arganiers. Devenu adulte, il fuit les travaux agricoles de son village et se rapproche d’Essaouira. Il devient ferrailleur et brocanteur approvisionnant les marchands du souk de tout ce qu’il ramasse un peu partout. Plus tard il s’occupera d’un pressoir à olives actionné par un dromadaire. La vieillesse approchant, un peu par hasard ou désœuvrement il commence à dessiner, comme ça, sans conviction. Un jour qu’il est au souk il montre ses dessins à un ami : « C’est mon neveu qui a fait ça. », dit-il. Avec le temps il se prend au jeu et n’hésite plus à revendiquer son travail : « C’est moi qui les ai faits. Vous en voulez d’autres ? ». Dans un premier temps il dessine au stylo à bille au verso de feuilles usagées ou encore sur les versos vierges de notices d’entretien. Dans un second temps il abandonne le papier de rebus et choisit des cartons d’emballage plus épais. Avec un feutre noir il détoure d’un trait appuyé les silhouettes de ses figures. Son monde est peuplé d’ânes, d’oasis, de canards, de puits, de souks, de tapis, de palmiers, de murailles, les chèvres sont dans les arbres et les vieillards agitent leur canne vers le ciel.(Texte: Bruno Decharme)

 

DANIELLE LE BRICQUIR


Sculpture en bois "Les nouveaux jardiniers"

Danielle Le Bricquir est Née en 1941, bretonne d’origine elle fait ses études à Levallois-Perret puis en faculté de Lettres à la Sorbonne. De 1959 à 1969, elle est institutrice puis professeur de Lettres dans un collège de Belleville. Mariée et mère de deux enfants, elle devient militante féministe dans les années 1970. En 1985, elle publie « La paix les femmes ! » aux Presses Universitaires de Grenoble.Elle commence à peindre à l’âge de trente-sept ans, sur toutes sortes de supports : toiles, papier, cuir, bois etc. A partir de 1981, découvrant l’usage de la scie sauteuse, elle réalise des découpes de bois contreplaqué avec lesquelles elle réalise des totems qu’elle peint de cou- leurs chatoyantes. Elle s’inspire des souvenirs de ses nombreux voyages (Mexique, Sahara, Indonésie, Nouvelle-Calédonie) ainsi que des légendes celtes et des contes bretons dont son enfance fut bercée.

"Je rends visible ce qui ne l'est pas.Dans ma peinture, l'imagination, la métamorphose des formes et l'amour de la couleur célèbrent une fête baroque, un hymne à la vie très personnel. Oeuvre de fiction, j'y convoque la magie de mon enfance, telle une force de libération que j'associe à la nostalgie de mes origines et aux contes celtes, dont les images se mêlent aux visions de lointaines cultures." (Danielle Le Bricquir)

DAMIAN VALDES DILLA

Damian Valdes Dilla a quitté l'école à l'âge de dix-sept ans en raison de graves problèmes de santé mentale. Après un mariage raté, il vit avec sa mère dans un petit appartement à La Havane. Il construit des bâtiments, des tours et des véhicules volants à partir de matériaux trouvés. Depuis 2014, il dessine des villes minutieusement détaillées et ordonnées, qui contrastent directement avec le chaos dont témoignent ses assemblages.(Texte: Bruno Decharme)

MARILENA PELOSI

Marilena Pelosi est née le 26 février 1957 à Rio de Janeiro, au Brésil. Enfant, elle assiste à de nombreux rituels Vaudous. Elle commence à peindre et à dessiner à l’âge de seize ans, après avoir « miraculeusement » guéri d’une maladie grave. Pour échapper à un mariage forcé avec un prêtre de la Macumba, elle s’enfuit et quitte le Brésil. Après une période d’errance en Europe, en Inde, et en Amérique, elle s’installe définitivement en France au début des années 1980. Cette créatrice utilise le stylo à bille, la plume et le feutre avec lesquels elle trace des scènes sur papier ou sur calque, dans une manière dépouillée et chargée de symboles. Il s’agit d’un monde thaumaturgique qui renvoie aux pratiques magico-religieuses en cours dans son Brésil natal. Cet univers est composé essentiellement de femmes dont certaines infligent des tortures tandis que d’autres les subissent. Les langues-cordes, surgissent des bouches, tracent des linéaments, ligotent les victimes sur des tables, les emprisonnent dans des cocons, s’introduisent dans les corps, s’amalgament aux lits, aux tables et aux rouages d’inquiétantes machineries. L’élément liquide, qu’il s’agisse d’eau, de larmes ou de gouttes de sang jaillissantes, est très présent dans cet univers duel qui tient à la fois du théâtre et de la cérémonie.

EZEKIEL MESSOU

Ezekiel Messou (1971) vit au coeur de la société et occupe même une position sociale importante puisqu'il exerce la profession de réparateur de machines à coudre, dans la ville de Cotonou. Pourtant, il a lui aussi une pratique artistique clandestine à laquelle il se livre en solitaire. Ezekiel Messou raconte avoir commencé à dessiner pour des raisons pratiques. Avant de démembrer les machines que ses clients lui apportaient en réparation, il les dessinait sur les murs de son atelier, explique-t-il, pour prendre des repères, en garder une trace, une image témoin, de manière à pouvoir ensuite réunir les éléments disparates et remonter l'engin sans difficulté. Lorsqu'une quinzaine de dessins de machines à coudre ont envahi la totalité des murs de son lieu de travail, il a continué de dessiner dans des cahiers d'écoliers, simples et bon marché. Ses productions graphiques avaient ainsi, à l'origine, un but technique et professionnel, sans nulle intention artistique. Chemin faisant, Ezekiel Messou semble avoir été pris au piège de la création : il a poursuivi sa pratique, le soir, après ses réparations, seul dans son échoppe et à l'abri des regards. Messou accorde progressivement une grande attention aux machines à coudre, en en traçant sur la feuille lignée ou quadrillée, avec précision et minutie, le corps principal et son socle, puis toute la mécanique : manettes, boutons, vis et roulettes de réglages. Avec un simple crayon à mine de plomb, il réduit parfois l'appareil à la bidimentionnalité ou alors révèle des effets de volume dans des jeux de clair obscur. Au fil du temps, le réparateur ? qui se fait appeler dans son quartier le machiniste ? s'est ainsi constitué, dans la clandestinité et la jubilation, un catalogue personnel où il répertorie des engins qui le fascinent bien au-delà de leurs capacités mécaniques. Né en 1971, Ezekiel Messou n'est pas un élève très assidu. A l'âge de seize ans, il fuit un père autoritaire et part pour le Nigeria. Il apprend le métier de réparateur de machines à coudre à Lagos entre 1990 et 1995. Son choix se porte sur la mécanique des machines à coudre car, comme il le dit, « les pêcheurs, les tailleurs ou les maçons sont trop nombreux sur le lac, alors que personne ne saurait faire ce métier... » Aujourd'hui, Messou a deux femmes et dix enfants et tient son propre atelier de réparation de machines à coudre à Cotonou, au Bénin.
(Texte : La Collection de l’Art Brut)