GEORGES MENIER MUSICIEN
A Cléo de Mérode, danseuse exquise, comédienne charmante

Georges Gaston Menier est né à Paris le 19 avril 1880, 4 avenue Ruysdaël. Fils de Gaston Menier et de Julie Rodier, il épouse Simonne Legrand (avec 2 n) le 12 décembre 1903. Les festivités seront largement commentées dans les journaux de l’époque de par la démesure apparente mais bien représentative de la puissance et du rayonnement mondial de l’activité de la maison Menier. Si les générations précédentes s’étaient engagées à poursuivre l’œuvre du père fondateur en ce début de XIX siècle, Georges, associé en nom collectif depuis le 3 décembre 1903, et qui rejoint son père à la tête de l'entreprise depuis la mort de son oncle Henri en 1913, donne des signes de relâchement quant à sa poursuite dans le capitanat d’industrie. 2 des 4 garçons du couple (Antoine et Hubert) ne feront que retarder la chute de l’entreprise familiale.

Ses nombreuses activités « Extra Professionnelles » détournent Georges de ses obligations managériales. L’avènement des sports mécaniques, le golf, les courses hippiques, la chasse à courre attirent notre jeune héritier probablement blasé mais assurément frustré de ne pas faire partie de l’élite bourgeoise, celle de la banque, des industries lourdes ou bien mécaniques. Son ailleul affublé du titre de « Baron chocolat » résonne en lui comme une injustice et il est prêt à en découdre avec la société du spectacle en proposant ses œuvres musicales issues de quelques facilités (qualités?) artistiques. Mais malgré sa contribution au monde artistique, il restera pour un grand nombre de détracteurs un industriel.

LA BELLE ÉPOQUE

C'est l'époque ou l’aristocratie partage désormais avec la haute bourgeoisie les bénéfices exorbitants des richesses coloniales, des avancées technologiques et leurs débouchés économiques exorbitants. La belle époque sourit à quelques privilégiés : théâtre et danse sont les espaces privilégiés des fortunes parisiennes pour démontrer une élégance, un raffinement, une certaine appropriation de la culture aristocratique. Les espaces confinés des salles de spectacle voient pulluler et parader la crème des parvenus à la recherche d’une reconnaissance divine. Probablement hermétique à la chose artistique, cette nouvelle population richissime succombe bien justement aux charmes des danseuses et comédiennes. Si certaines franchirent le Rubicon pour devenir courtisanes ou cocottes, d’autres restèrent des muses inspiratrices pour artistes. Georges Menier fut l’un d’eux ;il succomba au charme ravageur de Cléo de Mérode et lui composa un livret musical pour sa toute première pièce de théâtre en 1909, intitulé "Le premier pas".

Née en 1875, Diane Cléopâtre de Mérode prend ses premiers cours de danse à l’Opéra de Paris en 1882. Issue d’une famille aristocratique viennoise, sa mère lui inculqua très tôt les rudiments de la musique et de la danse. Son évolution au sein de la grande maison de danse fut sans accroc. Elle passa brillamment toutes ses classes et ses deux examens annuels, fut admise petit sujet en 1889, grand sujet en 1895. Mais soyons honnête, la danse fut probablement un faire-valoir au service d’une beauté sans égale. Bien avant de devenir l’icône française de la beauté, dès 8 ans elle participa à grand nombre d’opéras : « Je me tirai de mon petit rôle assez adroitement pour que Pédro Gailhard (directeur de l’Opéra de Paris) me remarquât. Il me trouva gentille et se prit pour moi d’un intérêt si bienveillant qu’à partir de ce moment il tint à ce qu’on m'employât le plus possible. A chaque fois que je jouais, il prenait soin de me faire placer au premier plan. Je fus une des rares de la première classe des petites à avoir très souvent des rôles. Aussi murmurait-on que j’étais le chouchou ». Il y avait bien les abonnés qui rodaient dans les coulisses et qui offraient aux gamines de 12 ans des cadeaux. Les peintres venaient pour « croquer » les danseuses, Cléo posa pour Degas et Forain.

Mais la sacralisation vint en 1896. René Baschet, Directeur de « l’illustration », rassembla un album comprenant 131 portraits d’artistes de théâtre considérées comme les plus jolies d’Europe. Ces portraits furent exposés dans la salle de dépêches de «L’éclair » et on appela le peuple à plébisciter la plus belle actrice du monde. Cléo de Mérode y figurait 3 fois. Sous l’une des photos, on pouvait lire : « La jolie fleur du corps de ballet de l’opéra est arrivée à la gloire par la tête et non par le pied ». Il y eut 7000 suffrages dont 3000 pour Cléo de Mérode ; suffisant pour obtenir le titre convoité de plus belle femme du monde. Après cette élection, les photographes se déchaînèrent et le portrait de la danseuse s’afficha sur un nombre incalculable de cartes postales ou de revues.

En 1909, Cléo de Mérode est au sommet de sa popularité, elle n’a jamais fait encore de théâtre. Mais qu’a cela ne tienne, de retour à Paris après une tournée en Italie, Michel Carré vint la trouver et lui demanda de créer une opérette sur ses paroles associé à Georges Menier (encore débutant) pour la musique. "Il y avait beaucoup de passages dansés mais pas mal de textes dans ce vaudeville à couplets". L’histoire était légère : une danseuse étoile (Virginia), professeur à ses moments perdus et dont les enseignements sont très recherchés. Sous prétexte de donner des leçons à une fringante jeune femme, elle favorise ses amours avec un audacieux soupirant en faisant passer celui-ci pour un danseur de profession, à la barbe du mari.

La pièce, selon les chroniqueurs de l’époque, fut:" l’occasion donnée à Mlle Cléo de Mérode (à droite) d'exhiber sa grâce savante, et à Georges Menier d'écrire une partition sans originalité et sans intérêt, mais qui n'était pas autrement désagréable à entendre." Dans cet autre article du " Journal amusant" du 05 juin 1909 :" Dans le Premier Pas, nous voyons danser la toute belle Virginia, pour le ravissement et la perdition de Vanine Grivelin qui va tomber ensuite dans les bras d'un fol amant. C'est donc que la danse n'adoucit pas les moeurs comme sa soeur la musique. La soeur, ici, je veux dire la musique, est de M. Georges Menier. Elle est gentille et pas méchante. Le livret, qui a, lui aussi, le caractère facile de ces sortes d'affabulations, est de M. Michel Carré.
Mlle Cléo de Mérode, qui interprète le Premier Pas, a du moins le mérite de sa beauté. Sa plastique a la délicatesse rare des Tanagra et elle constitue une très artistique vision."

La première eu lieu au théâtre Michel qui venait d’ouvrir ses portes quelques mois auparavant. Dans ses mémoires (Le ballet de ma vie) publiées en 1955, Cléo de Mérode rapporte l’événement et les relations affectueuses qu'elle entretenait avec le famille de Georges et Suzanne Menier."Le théâtre Michel, dont j’essuyais les plâtres, n’était pas grand (350 places) et j’y avais tout de suite le public devant moi. Au lever du rideau, je me trouvais seule en scène.

Le soir de la Générale, je fus la proie d’un trac épouvantable. Pourtant cela marcha très bien, s’il faut en croire la presse qui déclara que « c’était une idée de génie d’avoir choisi Cléo de Mérode pour inaugurer le théâtre Michel » que « J’étais exquise dans "Le Premier pas", où je me révélais aussi bonne comédienne que danseuse ».La générale fut un triomphe, l’opérette était précédée de plusieurs petites pièces dont "Effet d’optique", de Romain Coolus.

Georges Menier était le fils du chocolatier Gaston Menier. La composition musicale, son pêché mignon, était pour lui une distraction de grand seigneur. Mais il ne manquait pas de talent. La musique de son "Premier Pas" avait des qualités de verve, de fantaisie et de rythmes entraînants. Georges Menier venait avec sa femme et leurs trois enfants aux répétitions et ils s’amusaient de tout leur coeur. Madame Georges Menier « La belle Mme Menier » était une blonde splendide, faite en déesse et suprêmement élégante, elle s’habillait chez Callot. Ils habitaient un hôtel imposant dont les jardins aboutissaient au parc Monceau et ils donnaient de grandes réceptions. J’y suis allée bien souvent, car je restais longtemps en relation avec cet aimable couple qui m’avait prodigué, au moment du "Premier Pas", des témoignages de sympathie et de gratitude. En souvenir de ma création de Virginia, Georges Menier m’offrit un bijou ravissant.

Pour une œuvrette, "Le Premier Pas" fit une honorable carrière qui s’acheva à temps pour me permettre de profiter de l’éblouissante saison de Paris. Jamais la vie artistique n’avait été plus active et plus nombreuse, jamais la danse n’avait excité un tel intérêt qu’en cette époque 1909 que marquèrent inoubliablement les fulgurantes révélations d’Isadora Duncan et des Ballets russes ».

Les auteurs avaient pour habitude d’offrir leur partition dédicacée, Georges Menier ne devait pas déroger à cette règle, il offrit sa partition avec la dédicace suivante : « Hommage Amical », signé Georges Menier. Un second hommage appuyé figurait sur une autre page en ces termes : « A Cléo de Mérode, danseuse exquise, comédienne charmante, hommage reconnaissant. les auteurs".

Un tissu publicitaire imprimé Chocolat Menier, tiré d’une photographie de carte postale, fait penser étrangement à Cléo de Mérode. Malgré la ressemblance frappante, le doute persiste car non signé. Cléo de Mérode posa pour un grand nombre de photographes mais plus fidèlement pour Léopold Reutlinger. Les clichés sont nombreux mais les copies plus encore. Les bonnes relations entre Georges Menier et la danseuse n’auraient-elles pas suffit pour que son nom figure sur une publicité des Chocolats Menier ? Avait-elle le souci de préserver son image, de ne pas l’associer à un produit industriel ? Le mystère reste entier et les informations sont les bienvenues.


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