Jean Antoine Brutus Menier, ancien élève du prytanée militaire de la Flèche et attaché au service de santé de l'armée en 1815, n'est encore qu'un préparateur en produits pharmaceutiques en charge de "La Maison Centrale de Droguerie" située au n°1 de "la rue du puits qui parle" en 1818. Il ne dispose que d'une meule à bras et quelques chevaux. En 1825, l'entreprise située rue des Lombards à Paris est gransissante et pulvérise quantité de substances destinées aux pharmaciens. Le chocolat n'est encore qu'un " faire-valoir gustatif" mélangé à d'autres substances.

Jean Antoine Brutus se préoccupe de la qualité de ses poudres et mélanges, ce qui n'est pas pour déplaire aux pharmaciens encore habitués aux solutions médicamenteuses approximatives sans réel suivi. Jean Antoine Brutus appose sa marque sur chaque produit ce qui l'engage désormais sur le chemin de la qualité. Le succès ne se fait pas attendre, mais l'outil de production constitué de meules à bras et de chevaux reste limité. La recherche d'espace et d'une autre source d'énergie est indispensable à la croissance de la Maison Centrale de Droguerie.

Sur la Marne, de nombreux moulins utilisent la force hydraulique bon marché pour fabriquer mais également pour transporter leurs marchandises. De Meaux à Chelles, l'activité est intense. Jean Antoine Brutus Menier choisit de s'installer à Noisiel où le potentiel de développement est grand, à mi-chemin entre Paris (son siège social) et l'une des places fortes de Seine et Marne : Meaux.

En 1824, il décide de louer le Moulin de Noisiel ; il en sera propriétaire en 1838. Cette bâtisse en bois sans étage est montée sur deux piliers et accessible par un pont donnant sur la rive non aménagée. Bien loin de son aspect actuel, le moulin subira de nombreuses métamorphoses avant de devenir ce monument édifié par Jules Saulnier en 1872, édifice à la structure porteuse révolutionnaire.

En 1836, la première tablette enrobée d'un papier jaune avec médailles et signature est créée. Sa diffusion sera mondiale. A partir de 1842, la santé de Jean Antoine Brutus Menier se détériore ; il passe le pouvoir progressivement à son fils Émile Justin pour s'éteindre en 1853. Jusqu'en 1862, Noisiel produit poudres pharmaceutiques et chocolat, mais les critiques font rage ; comment peut-on manipuler sur un même lieu produits chimiques et denrées alimentaires ?

Émile Justin Menier, loin de renier les choix de son père, va répondre aux critiques de brillante manière. Il modernise l'outil de production du chocolat sur le site de Noisiel et donne également à la pharmacie l'impulsion nécessaire pour faire de cette discipline le fer de lance de la production et de la création française. Située à Saint Denis, la Pharmacie centrale sera un centre chimique et pharmaceutique reconnu par ses pairs. Mais en 1867, la pression est trop grande, le choix de se séparer de la Pharmacie centrale est décidé. Elle deviendra la Pharmacie centrale de France sous la conduite de Dorvault.

A Noisiel, l'activité s'organise maintenant autour du chocolat de confiserie. Toutes les composantes de fabrication, aussi bien humaines que matérielles, sont étudiées pour faire de l'entreprise Menier une vitrine mondiale. Émile Justin Menier est homme politique, bonapartiste, dans un premier temps comme son père, il opte le 4 septembre 1870 pour les idées républicaines qu'il influe et applique aussi bien à ses employés qu'à ses concitoyens de Noisiel dont il est le maire depuis 1871 et député de l'arrondissement de Meaux en 1876. La cité ouvrière fait donc partie intégrante de la composante de fabrication voulue par Menier. Émile Justin Menier signe un grand nombre de brochures, "L'impôt sur le capital " et autres livrets économiques dont la plume n'est autre que la rédacteur en chef Yves Guyot, du journal fondé par Menier, "La réforme économique"

La fabrication du caoutchouc et de la gutta-percha dans l'usine de Grenelle date des années 1860. De par son mariage avec Claire Gérard, Émile Justin Menier accède à un environnement industriel qui ne peut qu'attirer sa curiosité et aiguiser son appétit d'extension. Le monde de la chimie est en ébullition, le caoutchouc associé à la vulcanisation démontre des propriétés encore inconnues susceptibles de créer une industrie nouvelle. La matière première ne manque pas chez les Menier : les terres américaines fournissent l'hévéa et la belle-famille GÉRARD, le savoir-faire par l'intermédiaire de l'entreprise AUBERT & GÉRARD.

Homme de progrès de par ses choix industriels et commerciaux, Émile Justin recherche l'autonomie concernant ses produits de base. Il devient propriétaire de sucrerie, arme une flotte de navire avec pour fleuron le Belém pour rapporter les cacaos dont il est le propriétaire au Nicaragua, il rénove la Ferme du Buisson pour satisfaire les besoins alimentaires de la population de Noisiel, une coopérative voit le jour. La ferme fournira également le lait pour la fabrication du chocolat au lait dès 1920. Tous les éléments sont réunis pour que la chocolaterie de Noisiel devienne la plus importante du monde.1881 marque la disparition d'Émile Justin Menier.

Son œuvre dédiée au progrès et au bien-être social sera poursuivie par deux de ses trois fils : Gaston et Henri. Ce dernier est à l'origine de la dernière avancée commerciale : la publicité. Il fait rentrer l'entreprise dans l'inconscient collectif en 1892 par l'intermédiaire de l'illustrateur Firmin Bouisset qui n'hésitera pas à utiliser sa propre fille comme modèle et à l'afficher sur tous les murs de France. La chocolaterie de Noisiel se transforme encore pour devenir un haut lieu de fabrication.

Chacun des 3 frères a sa spécialité Henri, le fils ainé, habite le plus souvent Noisiel et s'occupe plus spécialement des détails de la fabrication, tandis que Gaston, récemment marié à Julie Rodier en 1879, habite Rentilly et dirige l'entrepôt central de la rue d'Enghien, Albert, le cadet, est plus particulièrement chargé de l'usine de Grenelle.

La démonstration de puissance par des achats en tout genre frise la mégalomanie. Yachts, hôtels particuliers, Anticosti (île au large de Terre-Neuve) et Chenonceau en Touraine montre que l'idéal du père s'essouffle. La Cathédrale édifiée en 1908 en est le symbole. D'une utilité contestée, elle marque un tournant et prédispose d'un avenir incertain. Quand l'homme se prend pour Dieu, le déclin n'est pas loin.

En 1913, Gaston prend le contrôle de la chocolaterie après la mort de son frère aîné, il reste l'unique héritier de l'empire depuis la disparition en 1899 d'Albert, le frère cadet. Les innovations d'envergure ont cessé et l'entreprise rentre de plain-pied dans la première guerre mondiale. Ce conflit qui touche Noisiel révèle les qualités patriotiques de la famille Menier. La maison de retraite construite en 1902 baptisée Claire Menier en mémoire de leur mère née Gérard, sert d'hôpital pour militaires atteints de maladies contagieuses; il installe également en 1913, dans son château de Chenonceaux, avec l'aide de son fils Georges et Simonne Menier infirmière-major et femme de Georges, une ambulance de 120 lits. Jacques, l'un des fils de Gaston, est aviateur et participe au conflit de manière héroïque, Il sera victime d'un grave accident au cours d'une mission aérienne qui le fera souffrir et l'affaiblira tout au long de sa vie. Commercialement, la situation n'est pas catastrophique : la ration alimentaire des combattants comprend une barre de chocolat et les Menier entendent bien alimenter tous ces "poilus".

1918 marque la fin de la première guerre mondiale et le début des premiers troubles sociaux. Gaston Menier continue de faire face également à la concurrence. Il meurt en 1934, un an après son fils Georges laissant la place à Jacques qui déjà affaibli physiquement au cours d'un grave accident durant la guerre va subir les foudres des syndicats et perdre pied au milieu de cette marée rouge. Le choix des urnes est hostile aux Menier. Ils perdront tour à tour leurs mandats municipaux.

La seconde guerre mondiale sonnera la fin de l'entreprise. Hubert Menier tentera bien de redresser la situation, une embellie en 1939 et le maintien à flot jusqu'en 1950. Mais la maladie emporte Hubert en 1959, son frère Antoine assure alors la direction de la firme. Les enfants d'Hubert sont trop jeunes pour lui succéder et la guerre de succession opposant les héritiers, ne pouvait que fragiliser les intérêts de l'entreprise. En 1960, Menier doit fusionner avec la société Rozan. La société Menier est rachetée dans sa totalité en 1965. Deux ans après, Antoine meurt sans postérité à Paris, le 12 août 1967 à l'âge de 62 ans. Antoine aura été le dernier des Menier à diriger l'entreprise Menier.

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

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