accueil

Le 9 Juin, l'Ariane embarquait au Havre son charbon, réglait ses compas et faisait ses derniers préparatifs de départ.
Le 10, elle prenait la mer pour se rendre directement à Hambourg.
Le Président et Mme Waldeck-Rousseau avaient quitté Paris le mardi 10 avec Fernand Crouan et sa fille Marie, accompagnés de Jack Liouville et Maurice de Lagotellerie. Nous décidons alors de partir à bref délai et le lendemain soir, mercredi, Mme Lucien Raffard, le docteur Barbarin et moi, nous prenons le train pour Hambourg, où nous retrouvons nos amis le 12 Juin à cinq heures du soir...

... Nous visitons Lubeck, vieille cité hanséatique curieuse par son histoire et ses monuments. Nous dînons au Rathaus si lentement que nous manquons le train de huit heures : nous rentrons directement à dix heures et demis directement à Hambourg, pour nous rendre à bord de l'Ariane qui nous attend sous pression. La visite du bateau se fait à la lumière électrique et chacun prend sa place rapidement. Nos amis qui restent à Hambourg nous quittent et le 14 juin, à minuit cinq minutes, nous nous mettons en route au milieu du port, toujours aussi animé à cette heure tardive de la nuit...
...Il faut mettre pied à terre ; nous gravissons la montagne lentement, le temps est superbe, le soleil radieux. Nous arrivons en haut à l'hôtel construit en bois, où nous jouissons d'une vue magnifique sur le Naerödal, pendant qu'un excellent thé pris aux sons de la Marseillaise nous remet de notre tiède ascension.
Nous redescendons à Gudvangen, et nous nous préparons à la pêche...
...Nous interrogeons l'eau claire mais sombre de notre rivière, quand tout-à-coup, un saumon se débat furieusement; au bout d'une demi-heure, il paraît faiblir, mais c'est pour tirer encore plus fort.
Encore un quart d'heure, et il peut être approché de la rive, mais toujours avec difficulté.
Notre "gaffman" au moment de saisir l'animal commet une maladresse; le saumon fait un nouveau bond et repart de plus belle.
C'est alors une course folle le long de la rivière, nous entrons dans l'eau sans faire attention à sa température glaciale, et enfin après quelques minutes de cet hallali courant, nous parvenons à gaffer l'animal.
La lutte avait duré quarante-huit-minutes. Nous contemplons le monstre qui pèse près de 22 livres...

Nous entrons dans le port du Trondhjemfjord pour y faire le plein de charbon et d'eau. Nous profitons de l'occasion pour visiter la ville, malheureusement fermée le dimanche.
Nous rentrons à bord à sept heures ; mais les Trondhjémois n'ont pas fait diligence : ils ne finiront le charbon qu'à dix heures du soir. Il ne faut pas songer dîner à bord à cause de la poussière; nous retournons à l'hôtel Britania.
Nous revenons à onze heures à bord, où nos hommes ont fait le grand lavage.
Le Président (Waldeck-Rousseau) se met à peindre un ciel admirable jusqu'à minuit et demi, car désormais nous ne connaissons plus la nuit.
Il s'installe sur le pont supérieur et le banc abrité devient son atelier...

...Aussitôt mouillés, nous allons à terre, car nous voulons encore abattre un ours blanc ; nous débarquons au milieu d'un campement de Lapons dont la pauvreté et la misère nous émeuvent.
Pêle-mêle, sous quelques lambeaux de toile, gisent hommes, femmes, enfants et chiens. Au milieu d'eux, un jeune enfant de huit à dix mois nous surprend par sa figure propre et rose, qui contraste tant avec celle de ses parents.
Les Lapons nous entourent et nous apportent leurs bois de rennes, couteaux, chaussures.
L'un de nous promet un morceau de savon et donne du chocolat à une jeune Laponne de seize à dix-sept ans dont les quelques cheveux, de couleur jaunâtre, sont coquettement relevés avec un bout de ficelle sale...

la Revue du Cercle..... Polaire
...Nous quittons Mö à dix heures trente, et nous jouons dans l'après-midi la Revue du Cercle..... Polaire, que nous avons répétée consciencieusement, Marie, le docteur Barbarin et moi. Avec la plus grande activité, nous avons improvisé les costumes, les transformations ; les décors, à la manière de Shakespeare, sont remplacés par des écriteaux.
A quatre heures, le public est admis dans la salle à manger, transformée en théâtre, avec une rampe de bougie non allumée, puisque le jour est encore perpétuel.
Notre revue est un succès ; elle rappelle tous les événements amusants de notre voyage : nos pêches, nos achats, la pluie, les Lapons. Elle est en deux actes, et comme dans toute revue classique le second fait défiler les théâtres de nos exploits ; en voici du reste le programme ci-contre :
Nos spectateurs applaudissent à tout rompre et les couplets portent. Notre prima donna Marie enlève avec brio le rôle de la Laponne, de la Petite Morue, et de la lune...
...Le lendemain matin le temps est meilleur, et pendant que nous faisons à terre de l'eau douce, nous ne résistons pas au désir de bombarder la grande nappe de glace ; nous réglons notre tir sur un rocher de quelques mètres cubes situé sur le bord du fjord et à 1 000 mètres nos obus éclatent avec précision ; nous avions apprécié exactement la distance, dont l'apparence trompe si facilement, mais il faut aller jusqu'à 1 800 mètres pour atteindre la glace, qui nous paraissait si près de nous.
Nous allons peindre notre nom et la date de notre passage sur un gros rocher, puis juger de l'effet de notre artillerie ; nous avons écorné le rocher, mais il a résisté et restera là intact encore pendant des années...

...Nos amis Fernand Crouan et Marie font leurs préparatifs de départ, ainsi que le docteur Barbarin. Ils nous quittent pour aller directement de Kiel à Paris et le lendemain nous allons tous les reconduire à la gare à neuf heures.
Nous faisons une tournée en voiture dans la ville.
Kiel nous parait propre et gaie : ville de militaires et d'étudiants dont certaines rues ont un caractère ancien assez curieux...



...Nous séjournons à Hambourg le 29 juillet ; le temps est malheureusement toujours à grains ; nous allons visiter quelques parties curieuses de la ville et nous déjeunons avec notre aimable Consul général et Mme Lefaivre, au jardin zoologique, fort intéressant.
Le mercredi 30 juillet, nous reprenons le train à deux heures...

L'ariane, repartie également d'Hambourg le même jour, prend la mer pour revenir directement au Havre où elle mouille en rade le vendredi 1er août, à trois heures après midi.
Nous arrivons à Paris le 31 juillet, à huit heures du matin.
C'est la séparation définitive après cinquante jours de croisière, c'est la dernière étape de ce long ruban de plus de dix mille kilomètres que nous venons de parcourir joyeusement dans des contrées si curieuses et vers lesquelles nos souvenirs s'envoleront souvent.

Gaston Menier


 

Equipage et personnel de bord

Personnel
M. Jessen : interprètre-courrier
Eugénie Rousseau : femme de chambre
Louis Berdon : valet de chambre
Pierre Jaouen : valet de chambre
Auguste Boulanger : maître d'hôtel
Léon Sachot : chef
Honoré Richard : pâtissier

Equipage
Lelubez, capitaine au long cours : Commandant
Bouclon, maître au cabotage : Second
Ch. Maslard : Chef mécanicien
Maineult : Second mécanicien
Toudic : Maître d'équipage
Lucas : Premier chauffeur

2 graisseurs
4 chauffeurs
8 matelots
2 mousses
2 pilotes


L'Ariane à Deauville

 

 

sommaire Menier
CROISIERE DU STEAM-YACHT "ARIANE"
sur les côtes de Norvège, de Suède et de Danemark du 9 Juin au 1 Août 1902

Retour vers Guillaume II
Vers Guillaume II

Notes intimes de bord.
A Madame Waldeck-Rousseau.
Morceaux choisis et la Revue du Cercle Polaire

La revue du Cercle Polaire

 


 

Saga Menier