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Gaston Menier et ses invités
GUILLAUME II A BORD DE L'ARIANE
LE 3 JUILLET 1902
Le 3 juillet dernier un yacht blanc de 640 tonneaux, battant pavillon français, quittait le port d'Amsterdam. Ce yacht, c'était l'Ariane, qui appartient à M Gaston Menier l'industriel député de Seine-et-Marne, et qui en quelque manière, a déjà une histoire, puisque c'est à son bord, qu'en 1902 Waldeck-Rousseau s'y rencontra avec l'Empereur d'Allemagne. Tous les journaux de l'époque, relatèrent cette entrevue qui fit quelque bruit dans le monde, bien qu'elle n'ait eu aucun caractère politique.

L'Empereur quitte M Gaston Menier

L'Ariane
L'Ariane partait pour une nouvelle croisière dans les environs du Pôle. Elle emmenait quelques Parisiens notoires, M. Gaston Menier, son propriétaire, les enfants de ce dernier : M. et Mme Georges Menier, et un groupe d'amis : M. et Mme Journet, M.Gaston Bérardi, le Dr Barbarin et M. René Coignet, attirés par le merveilleux soleil de minuit, au cap Nord. Elle atteignit le petit port de Stavanger le jeudi 5 juillet et, le même soir se dirigea vers l'étroite et profonde baie toute hérissée de rochers, au fond de laquelle se dressent les maisons en bois de Bergen, qui fut jadis une capitale et qui est aujourd'hui, comme chacun le sait, l'entrepôt général des pêcheries et du commerce de la Norvège.
Or, comme l'Ariane pénétrait en rade de Bergen, elle croisa six navires allemands, dont l'un, le Hambourg, battait pavillon impérial. Pour le seconde fois, le yacht de M. Gaston Menier se trouvait en présence de l'Empereur Guillaume et celui-ci reconnaissait le bateau sur lequel il avait fait connaissance, quatre ans auparavant, de Waldeck-Rousseau. Aussitôt, une vedette se détachait du Hambourg et M. Gaston Menier était prié de se rendre à bord du paquebot impérial. Échange de visites : l'Empereur venait à sont tour sur l'Ariane, se faisait présenter les compagnons de M.Menier et les invitait à dîner pour le soir même.

Le paquebot Hambourg

L'Empereur descendant du Hambourg
On conçoit que les passagers de l'Ariane aient gardé une vive impression de leur entrevue avec le kaiser, laissons la parole à M.Gaston Bérardi : "Quand amené jusqu'à notre steam-yacht par un canot à huit rameurs, il apparut à la coupée, il était vêtu en yachtman, casquette et souliers blancs, avec quatre galons d'or sur son veston de drap bleu. Il était flanqué à gauche de M. Von Jenisch, représentant le ministre des Affaires étrangères et de M. le professeur Shliemann qui conseilla à l'Allemagne une attitude intransigeante lors du conflit marocain."
Les passagers de l'Ariane furent également frappés de l'émotion avec laquelle l'Empereur parla de Waldeck-Rousseau. "C'était un grand homme d'État, leur dit-il, et j'ai plaint sincèrement la France de l'avoir perdu. Je connais le mal dont il est mort. C'est celui dont on meurt dans ma famille. Je n'oublierai jamais le regard de mon père, cherchant à deviner la vérité sur le visage de ceux qui l'approchaient..."

La sieste après le repas

L'Empereur à droite et le commandant du Hambourg
Puis il rappela qu'il avait prédit à Waldeck-Rousseau la guerre russo-japonaise et lui avait parlé du merveilleux service d'informations que les Nippons ont étendu d'un bout du monde à l'autre. "On verra par la suite, en Asie et ailleurs, ce que pourra coûter ce premier triomphe des hommes jaunes sur les blancs."
Après avoir ainsi évoqué le péril jaune, l'Empereur parla du péril rouge, de celui qui menace, à chaque heure du jour, tous les chef d'États, qu'ils soient à la tête d'un empire absolu, d'une monarchie constitutionnelle ou d'une république. "M.Fallières court les mêmes dangers que le tsar et M. Roosevelt n'est pas plus exempt que le roi d'Espagne. Il y a dans l'armée des révolutionnaires une attente, qui, malheureusement n'existe pas parmi ceux qui représentent l'ordre et l'autorité."

Gaston Bérardi

Gaston Menier
Ce fut également au cours de cette conversation, à bord de l'Ariane, que faisant allusion au récent différend franco-allemand, l'Empereur renouvela des plaintes contre les journalistes qui interprètent toujours mal ses intentions et dénaturent sa pensée. "L'irresponsabilité est la règle absolue dans le journalisme, dit-il, un jeune homme de vingt-deux ans, sans y être aucunement préparé, se présente dans un grand journal et y fait un article qui peut avoir les plus graves conséquences. Les guides de l'opinion publique, dont je ne conteste pas la bonne foi, son souvent des ignorants et cela est un grand mal."

Le dîner à bord du Hambourg fut d'une cordialité exquise. L'Empereur attendait ses hôtes à l'entrée d'un petit salon fleuri, et il offrit des bouquets d'admirables orchidées à Mme Georges Menier et à Mme Journet. Présentations, puis dîner servis militairement par des marins, sous la direction d'un maître d'hôtel en habit. Menu allemand, avec confitures, salades et marmelades traditionnelles, et musique française. Devant Guillaume II, quatre gobelets en argent aux armes impériales pour les différents vins auxquels le souverain fait honneur. Après le repas on fume des cigares sur le pont.


La vie à bord de l'Ariane

Lyngenfjord
La Conversation au cours de ce dîner, prit un tour très parisien. On y parla spectacle, littérature, toilettes. L'Empereur proclama son goût pour les délicieuses modes parisiennes, rappela son entrevue de naguère avec Coquelin. Ainsi se dégage d'après cette entrevue, une nouvelle et vraiment amusante physionomie de l'Empereur d'Allemagne. Le lendemain de ce dîner mémorable, l'Ariane reprenait la mer et montait vers le Nord. Elle rencontrait les premiers Lapons à Transoë, au milieu d'un féerique décors de neige, de glaces et de roches. Poursuivant sa route elle atteignait le cap Nord par une rafale de brume et de neige fondante qui l'obligeait à rebrousser chemin.
A Bergen, il trouvèrent la ville pavoisée en l'honneur du roi Haakon et la reine Maud, qui venaient présider à la pose de la première pierre d'un théâtre, et ils assistaient à une admirable fête nautique. En quittant cette ville, ils rencontraient de nouveau l'escadre allemande. Debout sur la dunette, l'Empereur agitait sa casquette. Et comme l'Ariane envoyait ses signaux pour renouveler les remerciements de l'aimable réception de Bergen, le Hambourg répondit par le signal : "Je vous souhaite un agréable voyage."

Glaciers du Lyngenfjord

 


Rade de Mersk

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