LA VELLEDA

"Tout jeune, les eaux de la Marne et de la Seine sont les champs de manoeuvres où Henri Menier se perfectionne, non seulement dans l'art délicat de la voile, mais, ce qui est une exception qui lui fait un grand honneur, dans l'art difficile de l'architecte, du constructeur et du voilier. C'est sur des excellents bateaux, sortis tout entiers de ses mains, depuis la quille jusqu'au mât, qu'il court en rivière de jeunes bords pleins de merveilleuses promesses. Dès qu'à la voile il se sent maître, et qu'elle a dû lui livrer tous ses secrets, il se tourne vers l'étude de la navigation à vapeur. Il commence par des embarcations modestes dont il est à la fois le patron, le mécanicien et même le chauffeur. Après cet apprentissage, Henri Menier abandonne les petites embarcations et, à titre de transition, devient propriétaire du Sphinx, actuellement (1895) encore amarré devant le château de Noisiel.

L'année 1881 marque le premier pas réel d'Henri Menier dans la voie du grand cruising Il achète le steam-yacht Surrirella de 181 tx. Sans tenir compte de la faiblesse relative de ce petit bâtiment par rapport aux dangereuses explorations qu'il entend réclamer, il s'embarque et, pendant trois ans, sillonne les mondes africain et asiatique.

La Nubienne, devenue la Velleda, est un yacht aux proportions confortables mais restreintes. Construit à Newcastle en 1881 par Mitchell et compagnie, sous le nom de Cumbria. Jaugeant 575 tonneaux il est différent des autres yachts par son gréement et ses accastillages. En effet, il est grée en trois-mats-barques et son pont, au lieu d'être uni, est couvert, outre la dunette, par un gaillard d'avant et un gaillard d'arrière.Cette disposition, possible sur un bateau de fort tonnage, augment considérablement les espaces disponibles pour les logements. La velleda servira également de test pour les innovations du moment. Son propriétaire installa le premier projecteur électrique, récente invention de la machine Gramme. On sait quels développements la marine militaire a donné à ce mode d'éclairage intense et quels immenses services il lui rend aussi bien pour se défendre contre les entreprises nocturnes des torpilleurs que pour la reconnaissance et l'attaque des positions côtières.

Il s'élance vers la Norvège, fait escale à Hammerfest, tout près du cap Nord et de là, son pont surchargé de sacs de charbon, gouverne dans les régions inexplorées de la mer Polaire. Cette traversée au milieu des icebergs conduit Henri Menier à atterrir au Spitzgerg, où il aborde plusieurs points de la côte, dans le Bell-Sund et l'Icefjord, et à côtoyer, sans malheureusement y pouvoir aborder, la terre du Prince-Charles. Mais le combustible s'épuise. Après 25 jours passés dans les grands froids, il fait route pour la Norvège. Au cours de cette première excursion, il se vit limité par l'absence de trois facteurs indispensables à tout yacht destiné aux traversées de long cours et aux aventures hardies : 1° la vitesse, qui permet de franchir vite les passages dangereux et de n'être pas, dans les contrées hyperboréennes, l'esclave annihilé du temps.

2° de vastes soutes donnant un grand rayon d'action. 3° un puissant grément de voilier qui puisse, selon le bon plaisir, l'occasion ou la nécessité, suppléer au propulseur mécanique. Ces qualités, il les trouva dans le trois-mâts-barque Velleda, par lequel, en 1884, il remplaça l'insuffisante Surrirella. Ce magnifique steam-yacht-mixte, de 580 tx de jauge, un des trois plus grands de notre flottille de plaisance, file aisément plus de douze noeuds en moyenne, vitesse que sa voilure porte à quatorze noeuds lorsque les vents sont portants. Les 330 tonnes de charbon, dont les vastes soutes permettent d'approvisionner Velleda, donnent à ce yacht 35 jours de marche sans ravitailler. Muni de tous les perfectionnements les plus nouveaux, machines à gouverner, machines et ventilateurs électriques, machines réfrigérantes et chambres froides pour la conservation des viandes fraîches."

Avec la Velleda sous ses pieds, il s'élance pour la deuxième fois vers le Pôle, frustré par un premier voyage trop court à son gré. Le 15 juillet 1886, il atteint le 81e degré de latitude, résultat bien maigre, la banquise éternelle lui barra la route. Si Henri Menier n'a pas pu acquérir aux trois couleurs française de gloire, depuis si longtemps disputée en vain, de flotter sur l'axe virtuel septentrional du monde, il rapporta au moins de sa belle tentative une superbe, curieuse et utilement intéressante collection de trophées cynégétiques et géographiques. Il recueillit à beaux coups de fusil, de nombreuses et précieuses indications sur la faune arctique. Expert amateur photographe, il réunit un lot de 600 vues des paysages hyperboréens et des côtes du Spitzberg.

Cette collection unique lui mérita une médaille d'argent à l'exposition universelle de 1889. Avec la Velleda, Henri Menier a visité encore l'Écosse, les Shetlands et l'Islande. Au cours de ce cruising entre l'Islande et le Groenland, le yacht a été pendant plusieurs jours prisonnier des glaces flottantes : elles l'entourèrent étroitement, se soudant autour de lui jusqu'à perte de vue, et si élevées que, dépassant les pavois, elles mirent le coquet et puissant navire dans une position extrêmement critique. Henri Menier put heureusement et sans trop d'avaries tirer son yacht et sa personne de ce terrible danger."

Les détails

 

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Henri Menier
Vice président de l'Union des Yachts Français
Saga Menier